A la date de publication de cet article, le 29 octobre 2022, l’association R.E.A.C.T. compte 574 familles adhérentes depuis sa création en Décembre 2018. Nos familles membres sont réparties dans toute la France, dans les DROM-COM, et dans plusieurs pays étrangers (Allemagne, Belgique, Canada, Luxembourg, Pays-Bas, Roumanie, Royaume-Uni et Suisse).
Cet article est le premier d’une série d’articles visant à sensibiliser le grand public sur notre problématique, notre association et nos actions.
Caractérisation des enfants et adolescents à comportement tyrannique
Préambule
La lutte contre les violences intrafamiliales est un enjeu sociétal majeur, et pourtant il existe une forme de violence familiale grave dont on ne parle jamais : la violence dirigée de l’enfant vers son parent. Il s’agit d’un phénomène largement méconnu, car tabou, et qui entraîne une grande souffrance au sein des familles concernées.
On parle d’enfant à comportement tyrannique lorsque la hiérarchie familiale est inversée : l’enfant prend le pouvoir dans le foyer familial et les parents sont entravés dans leur prise de décision et d’action. Ce comportement ne relève pas d’un contexte de carences éducatives ou de manque des limites et il est à différencier du phénomène de « l’enfant roi ». En effet, l’enfant à comportement tyrannique présente des troubles dont les dimensions centrales sont typiquement la dysrégulation émotionnelle et anxiété.
Le comportement tyrannique correspond à une dynamique familiale particulière qui démarre tôt et qui s’installe peu à peu au sein du foyer. Le plus souvent depuis la petite enfance, la toute-puissance de l’enfant s’installe ainsi progressivement et peut se traduire par des violences physiques, verbales et/ou psychologiques.
En tant que parents confrontés à cette situation, outre la violence de nos enfants, nous devons faire face au jugement social, à l’incompréhension, à l’incrédulité et même à la culpabilité projetée par notre entourage : comment cet enfant qui se comporte si bien à l’extérieur de la maison pourrait-il avoir un comportement violent envers ses parents ?
Une difficulté supplémentaire est que la plupart des professionnels, auxquels nos familles doivent faire appel, connaissent encore très peu cette problématique de comportement tyrannique. Ainsi, nous sommes souvent en difficulté pour faire reconnaître le caractère neurodéveloppemental (biologique) des troubles de nos enfants, ce qui aggrave l’isolement et la souffrance des familles.
En accord avec les valeurs fondatrices de l’association R.E.A.C.T. et sur la base des questionnaires remplis par nos familles adhérentes, nous avons élaboré cet article, afin d’essayer d’apporter un éclairage sur les caractéristiques de notre problématique atypique.
Cet article a été créé bénévolement par le bureau R.E.A.C.T. Il est proposé uniquement à titre informatif et il ne saurait en aucun cas se substituer à des conseils ou consultations de nature professionnelle.
Réponses des parents aux questions relatives au
comportement tyrannique
5 questions pour repérer le comportement tyrannique
On parle d’enfant à comportement tyrannique lorsque la hiérarchie familiale est inversée.
Sur un échantillon de 563 parents membres, la réponse « OUI » aux 5 questions proposées pour repérer le comportement tyrannique est largement majoritaire, ce qui confirme la prise de pouvoir de l’enfant dans le foyer familial.
Votre enfant est-il capable d’adapter son comportement à l’extérieur pour éviter le jugement d’autrui ?
Les difficultés associées aux troubles pédopsychiatriques de ces enfants se manifestent principalement (souvent exclusivement) au sein du foyer familial par une intolérance totale à la frustration, des colères excessives, de l’opposition, de l’irritabilité et des comportements violents.
En général soucieux du regard social, en dehors du foyer familial l’enfant peut adapter son comportement pour éviter le jugement d’autrui. Ses troubles ne sont donc fréquemment pas visibles de l’extérieur, décrédibilisant les parents dans leur recherche d’aide.
Ces parents, déjà fragilisés du fait de la violence de leur enfant, doivent faire face à l’incrédulité (voire à la moquerie) de leur entourage ainsi qu’au jugement social.
D’après les réponses de 558 parents adhérents, 91,2% de ces enfants, qui présentent un comportement tyrannique au sein du foyer, sont capables d’adapter leur comportement à l’extérieur.
Caractéristiques concernant l’enfant au moment de l’adhésion
de la famille à l’association
Nombre d’enfants présents au sein de nos familles membres
Selon l’INSEE, en 2020, 36,2% des familles en France ont un enfant unique, 42,4% ont 2 enfants, 15,7% ont 3 enfants et 5,7% des familles ont 4 enfants ou plus.
Au moment de l’adhésion, la distribution de nos familles membres (avec 1 enfant, 2 enfants, 3 enfants ou 4 enfants ou plus) est significativement différente à cette distribution présentée par l’INSEE (test exact de Fisher, p=5×10-4).
En effet, nous observons une sous-représentation significative de familles avec un seul enfant (p<10-10(***) et une sur-représentation de familles avec 2 et 3 enfants (p = 1,5×10-4 (**) et 3,3×10-4 (**), respectivement). Par exemple, 22,6% des familles membres de REACT (120 familles sur un échantillon de 532 familles) ont un seul enfant alors que 36,2% des familles françaises ont un enfant unique.
Position de l’enfant présentant un comportement tyrannique au sein des fratries
Sur un échantillon de 412 familles adhérentes, la distribution théorique espérée pour l’enfant présentant un comportement tyrannique est de 179,5 enfants aînés, 53 enfants au milieu de la fratrie et 145 derniers-nés. Toutefois, la distribution observée (218 aînés, 49 enfants au milieu de la fratrie et 179 derniers-nés) est statistiquement différente de cette distribution théorique (test exact de Fisher, p=0,02).
En effet, il existe une sur-représentation statistiquement significative d’enfants aînés présentant un comportement tyrannique, et une sous-représentation des derniers-nés, par rapport à la distribution théorique espérée [p=8×10-3 (**) et 0,01 (*), respectivement)].
Cette sur-représentation d’enfants aînés parmi ceux ayant un comportement tyrannique, couplée à la sous-représentation observée des familles avec un seul enfant, laisse suggérer que les parents ayant eu un premier enfant présentant ce profil de comportement auraient une plus grande tendance à avoir un autre enfant. Il est également possible qu’il existe un biais d’échantillonnage concernant les familles qui deviennent membres de l’association.
Nous ne pouvons pas exclure que les familles ayant un seul enfant qui présente un comportement tyrannique puissent s’accommoder de leur situation car cela ne concerne que les parents et leur enfant atypique et que, n’ayant pas un autre enfant avec qui comparer, ces parents puissent se remettre encore plus en question concernant leur éducation et que finalement ils s’isolent davantage dans leur situation. Ces familles seraient donc moins susceptibles d’entrer en lien avec notre association et seraient donc sous-représentées.
En revanche, le fait d’avoir un autre enfant permet de mieux prendre conscience de la différence de comportement entre les deux, les parents chercheraient également à protéger la fratrie et pourraient être plus réactifs dans leur recherche de solutions. Ces familles seraient donc plus susceptibles d’entrer en lien avec notre association et seraient donc sur-représentées.
Âge de l’enfant
Comme indiqué en préambule, le comportement tyrannique s’installe généralement dès la petite enfance au sein du foyer. Au moment de l’adhésion, l’âge des enfants de nos familles membres est ainsi réparti entre 2 et 23 ans, avec un pic à l’entrée de l’adolescence, vers 12 ans.
Sexe de l’enfant
En accord avec l’expression clinique de deux troubles les plus fréquemment retrouvés chez l’enfant/adolescent à comportement tyrannique (TDAH et TOP), nous observons une prévalence de garçons (63%) par rapport à la proportion de filles (37%) chez les enfants et adolescents de nos familles membres.
Haut Potentiel Intellectuel
Les enfants/adolescents à comportement tyrannique font preuve de grande intelligence et, à ce titre, il est courant que des parents membres de l’association aient déjà réalisé un test psychométrique pour leur enfant afin d’essayer de mieux comprendre son comportement. Parmi 269 enfants ayant réalisé un test WISC (Wechsler Intelligence Scale for Children) pour évaluer leur profil cognitif, 78,8% présentent un QI>130 (haut potentiel ou précocité intellectuelle), alors que selon l’échelle utilisée lors du bilan psychométrique, seulement 2,5% de la population présente un score égal ou supérieur à 130. De façon intéressante, pour quasiment la moitié de ces enfants, le test WISC révèle une hétérogénéité des scores obtenus lors de l’exploration des différentes dimensions cognitives analysées lors du test.
Réponses des parents concernant les troubles fréquemment associés au comportement tyrannique
Le comportement tyrannique de l’enfant/adolescent ne rentre dans aucune catégorie diagnostique actuelle. Ce n’est donc pas un trouble mais un profil de comportement qui semble correspondre à une psychopathologie complexe avec plusieurs diagnostics associés.
Le plus souvent à haut potentiel intellectuel (HPI), l’enfant à comportement tyrannique présente une comorbidité entre plusieurs troubles dont les dimensionnes centrales sont généralement la dysrégulation émotionnelle et l’anxiété.
Cette double dimension est à la base de ce profil de comportement :
Parce qu’il est anxieux, l’enfant à comportement tyrannique est très sensible au regard social et, à ce titre, il peut se contenir et adapter son comportement à l’extérieur pour éviter le jugement d’autrui (notion de « cocotte-minute »).
De par sa difficulté de gestion émotionnelle, une fois rentré à la maison où il se sent en confiance, l’enfant va utiliser ses parents pour déverser ses émotions (notion de « punching ball »).
Les statistiques suivantes correspondent aux réponses des parents membres de l’association R.E.A.C.T. au sujet des critères diagnostiques concernant les troubles fréquemment associés à ce profil de comportement.
La dimension dysrégulation émotionnelle
Le TDAH
Le Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) est un trouble du neurodéveloppement dont les symptômes se manifestent dans trois dimensions cliniques : inattention, impulsivité et hyperactivité.
Sur un échantillon de 449 parents, en moyenne, plus de 60% des parents s’accordent à dire que leur enfant présente « tout le temps » ou « régulièrement » la plupart des critères diagnostiques du TDAH.
Le TOP
Le Trouble d’Opposition avec Provocation (TOP) concerne un ensemble de comportements négativistes, hostiles ou provocateurs, envers les figures de l’autorité avec une humeur colérique/irritable, un comportement querelleur/provocateur et/ou un esprit vindicatif/fâché.
Sur un échantillon de 568 parents, en moyenne, environ 86% des parents s’accordent à dire que leur enfant présente « tout le temps » ou « régulièrement » la plupart des critères diagnostiques du TOP.
Le TDDE
Le Trouble Disruptif de Dérégulation Emotionnelle (TDDE) concerne les enfants présentant une humeur irritable/colérique de façon chronique et des crises de colères jugées excessives, sévères et récurrentes.
Sur un échantillon de 555 parents, environ 75% des parents déclarent que leur enfant présente « tout le temps » ou « régulièrement » des crises de colères répétées et humeur irritable persistante entre les crises
La dimension anxieuse
S’agissant des questions relatives aux troubles fréquemment associés à la dimension anxieuse du comportement tyrannique, sur un échantillon de 452 parents, quasiment la moitié (23,7% dans le cas du TOC) répond de façon affirmative à la question définissant chacun de ces troubles.
On note qu’en moyenne, environ 30% de parents déclarent ne savoir pas répondre à ces questions, peut-être car le besoin extrême de contrôle/maitrise chez ces enfants modifie les manifestations plus classiques de l’anxiété de telle sorte que le parent ne parvient pas à les identifier en tant que telles (le parent repèrerait avant tout la violence, et moins bien la peur ou l’insécurité de son enfant).
TAG
(Trouble d’Anxiété Généralisée)
Votre enfant montre-t-il un sentiment persistant d’insécurité, une inquiétude permanente et excessive, à propos de beaucoup d’activités ou d’événements ?
Trouble d’Anxiété Sociale
Votre enfant montre-t-il une peur persistante d’être embarrassé(e), ridiculisé(e) ou humilié(e) dans des situations sociales ?
Trouble d’Anxiété de Séparation
Votre enfant montre-t-il une anxiété persistante et intense lorsque l’enfant se trouve loin de son foyer ou en cas de séparation avec des personnes chères ?
TOC
(Trouble Obsessionnel Compulsif)
Votre enfant montre-t-il des comportements répétitifs et irraisonnés, mais irrépressibles, qui répondent à des pensées obsédantes et qui obligent ceux qui en souffrent à faire sans cesse des rituels précis ?
Conclusion
Cet article vise à recenser diverses caractéristiques relatives aux enfants présentant un comportement tyrannique sur la base des réponses des parents membres à un questionnaire proposé par l’association R.E.A.C.T. Dans l’ensemble, les données ici présentées sont en accord avec la description du comportement tyrannique faite par le Dr Nathalie Franc et le Professeur Haïm Omer dans leur ouvrage1, notamment sur la notion d’inversion de la hiérarchie familiale et sur le fait que les difficultés liées au comportement tyrannique ne sont généralement pas visibles de l’extérieur.
Basées uniquement sur les réponses des parents, nos données relatives aux troubles les plus fréquemment associés à ce profil de comportement n’ont aucune valeur diagnostique. Toutefois, elles sont en accord avec l’observation des professionnels que ce profil de comportement est bien le résultat des troubles pédopsychiatriques sous-jacents1. Le handicap invisible lié à ces troubles peut être difficile à déceler par le professionnel non sensibilisé, à fortiori dans le cas de nos enfants, qui adaptent leur comportement à l’extérieur du foyer pour éviter le jugement d’autrui. De ce fait, nous sommes souvent peu entendus ou compris.
Nous regrettons que, devant l’impossibilité à expliquer le comportement dysfonctionnel de l’enfant, un nombre non négligeable de professionnels mette en avant un lien pathologique entre les parents et l’enfant, des carences éducatives et/ou un manque de limites, voire d’amour, des parents envers leur enfant… Ces théories sont non seulement culpabilisantes et violentes envers les parents (en particulier envers les mères), mais elles contredisent les données scientifiques à plus haut niveau de preuve, et surtout elles entraînent un retard dans la mise en place d’une prise en charge adaptée à la spécificité de ces enfants et à la situation atypique des familles.
Le Dr Nathalie Franc et le Professeur Haïm Omer indiquent dans leur ouvrage que : « en consultation, l’enfant ne fait pas part de ses difficultés, les banalise, n’évoque pas son comportement tyrannique, porte le tort à ses parents » ; « s’il est important de recevoir ces enfants en consultation, il n’est pas possible de se limiter à leur discours car ces enfants savent exactement comment se comporter avec les différents professionnels » ; « dans cette problématique précise, il est important de ne pas se focaliser uniquement sur l’entretien avec l’enfant mais de s’attacher au discours parental »1. De plus, le mépris de la parole du parent et les jugements inappropriés de la part de l’environnement social et sanitaire participent aux difficultés du jeune et contribuent à amplifier l’isolement et la souffrance dont les parents (et les enfants !) sont victimes.
Bien que l’évaluation des difficultés de l’enfant soit indispensable, on ne peut que constater que l’accès au diagnostic représente un véritable parcours du combattant pour les familles. Il est important de noter que le diagnostic ne vise aucunement à « étiqueter l’enfant », ou a « le mettre dans une case », mais à mieux préciser les difficultés du jeune afin d’y adapter sa prise en charge. En effet, la littérature scientifique montre que, sans prise en charge, les troubles anxieux et le TDAH peuvent bouleverser complétement la trajectoire de vie d’un enfant (augmentation significative du risque des troubles de comportement et d’apprentissage, du risque de toxicomanie, de dépression, de suicide…)2-4. Il est donc essentiel de simplifier l’accès au diagnostic pour nos enfants afin de leur apporter des solutions adaptées.
Enfin, au delà du diagnostic, nous constatons que la méthodologie REACT, initiée en France par le CHU de Montpellier, est un outil indispensable pour faire évoluer nos situations. Cette méthodologie préconise que les parents mettent en place un réseau de soutien afin de sortir de leur isolement. Comme dit le proverbe africain: « il faut tout un village pour élever un enfant » et les familles confrontées à notre problématique atypique ont d’autant plus besoin d’être soutenues, non seulement par leur entourage mais aussi par les institutions. Un accompagnement psychosocial de qualité est, à ce titre, essentiel pour la construction du projet de vie de nos enfants.
L’association R.E.A.C.T. est engagée dans une démarche collaborative avec les professionnels (sanitaire, social, éducatif, juridique…) afin de faire connaitre et reconnaitre notre problématique atypique. Nous remercions les professionnels qui nous soutiennent ainsi que nos familles membres qui ont accepté de remplir des questionnaires servant à l’élaboration de cette série d’articles.
2 – Allen et al., (2020) Childhood Anxiety—If We Know So Much, Why Are We Doing So Little? doi:10.1001/jamapsychiatry.
2020.0585 4 – Faraone et al.,(2021) The World Federation of ADHD International Consensus Statement: 208 Evidence-based conclusions about the disorder doi.org/10.1016/j.neubiorev.
2021.01.022
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